COUR D'APPEL

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE QUÉBEC

 

 No:

200-09-002242-987

 

(200-05-002475-890)

 

DATE: 24 avril 2001

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 EN PRÉSENCE De:

LES HONORABLES

ANDRÉ BROSSARD J.C.A.

FRANCE THIBAULT J.C.A.

FRANÇOIS PELLETIER J.C.A.

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LA VILLE DE QUÉBEC,

APPELANTE - Demanderesse

c.

LE CURATEUR PUBLIC,

INTIMÉ - Défendeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,

INTIMÉ - Mis en cause

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MIS EN CAUSE - Mis en cause

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ARRÊT

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[1]                LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure du district de Québec prononcé le 14 août 1998 par l'honorable Laurent Guertin qui rejetait avec dépens l'action de l'appelante.

[2]                Après étude du dossier, audition et délibéré;

[3]                Pour les motifs énoncés dans l'opinion ci-jointe du juge Brossard, auxquels souscrivent les juges Thibault et Pelletier;

[4]                ACCUEILLE l'appel avec dépens contre les intimés;

[5]                CASSE le jugement de la Cour supérieure;

[6]                Et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu 

[7]                ACCUEILLE pour partie l'action de l'appelante aux fins de:

DÉCLARER que le lot 2323 de la Cité de Québec -- quartier Champlain -- constitue un bien vacant et sans maître, assujetti à la saisine du Curateur public, en vertu de l'article 13 de la Loi sur la Curatelle publique;

 

DÉCLARER que, par l'effet du présent jugement, l'État, soit l'intimé en sa qualité de représentant judiciaire de la Province de Québec, est envoyé en possession du lot 2323 de la Cité de Québec -- quartier Champlain;

 

DÉCLARER que l'intimé, Procureur général du Québec, en cette qualité, est responsable envers la Ville de Québec des coûts d'entretien, réparation et réfection de ce lot.

 

[8]                Le tout avec dépens,  incluant les frais d'experts tant de l'appelante que du mis en cause contre les intimés.

 

 

 

 

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ANDRÉ BROSSARD J.C.A.

 

 

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FRANCE THIBAULT J.C.A.

 

 

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FRANÇOIS PELLETIER J.C.A.

 

Me Denis Lavallée

BOUTIN, ROY

Avocat de l'appelante

 

Me Luc Chamberland

SAINT-LAURENT, GAGNON

Avocat des intimés

 

Me Nathalie Drouin

CÔTÉ & OUELLET

Avocat du mis en cause

 

Date d'audience:  27 novembre 2000

 Domaine du droit:

BIENS ET PROPRIÉTÉ

PROCÉDURE CIVILE

 

 

 


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OPINION DU JUGE BROSSARD

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INTRODUCTION

[9]                Il s'agit de la triste histoire d'un terrain orphelin, laissé à l'abandon, et dont personne ne veut.  Ce qui rend l'histoire cocasse est que, en d'autres circonstances, les parties en l'instance se querelleraient devant les tribunaux pour revendiquer le terrain plutôt que de se débattre avec l'énergie du désespoir pour être certaines que ce soit l'une des autres parties qui en soit déclarée propriétaire.

[10]           Il s'agit d'un lot aujourd'hui cadastré, situé au nord de la rue Champlain, couvrant une superficie de 232 410 pieds carrés dans la falaise communément appelée «Cap Diamant» et borné au sommet par le terrain du Gouvernement fédéral où l'on retrouve la «promenade des gouverneurs» et la citadelle. 

[11]           On pourrait penser que l'appelante serait fière de garder le contrôle d'un tel magnifique boisé et de conserver ainsi sur son territoire un si beau site naturel.  Mais non!

[12]           Qui aurait pu croire que le Gouvernement du Québec utiliserait tous les arguments possibles pour concéder la propriété d'un tel terrain au Gouvernement fédéral et ainsi permettre l'agrandissement du territoire de celui-ci à l'intérieur de la Ville de Québec, ou, comme choix subsidiaire,  en concéder la propriété à cette dernière?

[13]           Enfin, n'eut-il pas été logique pour le Gouvernement fédéral de sauter sur l'occasion de se faire déclarer propriétaire de la falaise dont l'entretien et la stabilité sont physiquement essentiels à la sauvegarde de la «promenade des gouverneurs», sinon même à la stabilité du sous-sol du terrain où se trouvent la citadelle et la résidence du Gouverneur général du Canada?  Et bien non! 

[14]           Le problème, c'est que ce terrain n'a qu'une valeur d'ennuis, d'inconvénients et de problèmes, susceptible d'éboulis qui nécessitent, soit des mesures de stabilisation constantes, soit des coûts de réaménagement et de réparation, comme ce fut le cas en l'espèce. 

LES FAITS

[15]           Les faits pertinents se résument comme suit :

-           À l'automne 1986, un éboulis provenant de la falaise du lot 2323 nécessite l'intervention de l'appelante qui procède à des travaux de nettoyage et à l'installation de barrières.  Le 30 mars 1987, l'appelante avise l'intimé que des travaux sont nécessaires sur cet immeuble et qu'à défaut d'une exécution par l'intimé, l'appelante effectuerait les travaux requis aux frais de celui-ci.

 

-          Au cours des mois de novembre et décembre 1987 et janvier 1988 l'appelante effectue les travaux au coût de 17 072,01$.   Le 22 juin 1988, l'intimé avise l'appelante qu'il n'est pas propriétaire de l'immeuble (l'attribuant dans un premier temps à la Fabrique de la paroisse de Notre-Dame de Québec) et refuse ainsi de rembourser les sommes demandées.

 

[16]           Dans le cadre des procédures en remboursement intentées par l'appelante, les experts Goudreau et Lebel retracent l'historique et la chaîne des titres sur l'immeuble :

-          Il ressort des deux expertises que trois lots primitifs (quatre pour les fins d'analyse de Goudreau) constituaient les lots cadastraux actuels nos 2323 et 2324 à partir de la fin du XVIIIe siècle. À compter de 1816, ces lots primitifs sont la propriété unique d'un dénommé Peter Brehaut. Lors de son décès en 1840, l'inventaire dressé par le notaire Têtu fait état, pour ce qui a trait à l'actuel lot 2323, des terrains s'étendant «jusqu'à la cime du cap [aux Diamants]».

 

-           Ce n'est que lors du partage de la propriété en trois propriétés distinctes, requis par ses héritiers, que la description notariale est rédigée en anglais, rompant ainsi la continuité dans les termes choisis.  En fait, on mentionne alors que les terrains sont bornés «on the other side towards the westward by Cape Diamond Champlain Street running through the same».

 

-           En 1840, tout doute se dissipe alors que l'arpenteur provincial délimite de nouveau la propriété «in the rear by the Cape or Cime du Cap» confirmant ainsi la profondeur dans la chaîne des titres de propriété.  La même année, la propriété Brehaut est vendue en justice à John Munn qui devient propriétaire des terrains délimités à nouveau «on the westward by the Cap Diamond Champlain street running through the same» tel que les décrit le shérif lors de cette vente.  C'est donc de nouveau l'expression «Cap Diamond Champlain street running through the same» qui délimite la profondeur de cet immeuble et ce, lors de toutes les ventes notariées le concernant jusqu'en 1866. 

 

-           Le 11 décembre 1866, le propriétaire du terrain couvrant les lots actuels nos 2323 et 2324, David Douglas Young, vend cette propriété à Hugh et Andrew Allan, propriétaire de Montreal Ocean Steamship Company.  Le terrain vendu aux propriétaires de Montréal Ocean Steamship Company était borné par «Champlain Street on the west and the deep water of the river St Lawrence on the east», tel que décrit dans l'addenda et non plus par la cime du cap.  Ainsi, la falaise semblait avoir été exclue de cette transaction.  L'arpentage des terrains demandé par les frères Allan au cours de la même année confirme cette hypothèse puisque le plan décrit les terrains situés uniquement au sud de la rue Champlain.  Cette description de l'immeuble est entérinée par la Cour supérieure en 1868 lorsque les frères Allan demandent  une confirmation judiciaire de leurs titres de propriété.  

 

-                     Pour ce qui est de la portion de l'immeuble s'étendant sur la falaise, elle n'aurait donc pas été vendue et serait restée dans le patrimoine de David Douglas Young.  L'inventaire dressé à l'occasion du décès de ce dernier omet de signaler la propriété de cette parcelle de terrain.  Ainsi, la succession accepte cet inventaire, croyant sans doute que cette parcelle avait été comprise lors de la vente aux frères Allan, ou par absence d'intérêt dans ce terrain.   À mon avis, il y a lieu d'y voir une présomption d'abandon de tout intérêt juridique dans la propriété.

 

-                     C'est en 1874 que le lot no 2323 est constitué par la confection du cadastre qui indique erronément que Montréal Ocean Steamship Company est propriétaire du lot.

 

-           En 1889, la Ville de Québec a poursuivi le gouvernement fédéral à la suite d'un éboulis.  Lors des procédures intentées devant la Cour de l'Échiquier et la Cour suprême, le gouvernement fédéral a plaidé que les travaux qu'il avait effectués n'étaient pas à l'origine de l'éboulis sans nier être propriétaire des terrains où s'est déroulé l'éboulis.  La Ville a été déboutée lors des deux instances. 

 

-                     En 1913, le lot 2324 est vendu aux Commissionners of the Transcontinental Railway et cette vente n'inclut pas le lot 2323.

 

-                     Enfin, le 23 février 1967, le Curateur public affirme que le Ministère des Terres et Forêts est propriétaire du lot no 2323 sans toutefois identifier les documents ou décisions à l'appui de cette affirmation. 

 

-                     Depuis la confection du cadastre, en 1874, aucune transaction pour le lot 2323 n'a été inscrite à l'Index aux immeubles du Bureau d'enregistrement de Québec.

 

[17]           Le 14 août 1998, le juge de première instance a rejeté l'action de l'appelante avec dépens, incluant les frais d'expert.  Puisque le lot no 2323 faisait partie du patrimoine de Young au moment de son décès, le Tribunal a considéré qu'il ne peut être considéré comme étant un bien en déshérence.  Même si le bien n'apparaissait pas à l'inventaire du défunt, il aurait fallu, selon lui, faire la preuve que les héritiers avaient l'intention de l'abandonner.  Le Tribunal écrit :

Il n'y a aucune preuve pouvant permettre d'établir que les droits de David Douglas Young ont été acquis par l'État.  Le fait que les propriétaires ou les héritiers du lot 2323 soient inconnus ou introuvables ne signifie pas qu'on doive considérer ce bien comme un «bien sans maître» ou «un bien vacant»[1].

 

[18]           Le lot no 2323 est déclaré un bien dont le propriétaire est introuvable, mais ne constituerait pas un bien sans maître.  Le Tribunal ajoute que le Curateur public n'en exerce l'administration que pour le bénéfice de ce propriétaire inconnu.  S'appuyant sur l'article 29 de la Loi sur la curatelle publique[2], le Tribunal conclut que le Curateur ne peut être tenu responsable des dommages.

 

DISCUSSION

 

[19]           L'appelante plaide que ce jugement situe erronément le moment pour déterminer si le bien est sans maître.  En vertu d'une telle application rétroactive des droits,  à la date du décès du dernier propriétaire connu, il n'y aurait jamais de bien sans maître nonobstant le libellé des articles 401 et 584 C.c.B.-C. qui prévoient pourtant expressément cette situation.  L'appelante fait valoir que le seul fardeau de preuve qu'il lui incombait de faire était de démontrer que les propriétaires sont maintenant inconnus et introuvables. 

[20]           Avec déférence pour les motifs du juge de première instance, je suis d'avis que le lot no 2323 est un bien vacant et sans maître dont la propriété revient à l'État.

[21]           Les articles 401 et 584 du Code civil du Bas-Canada énoncent:

401.     Tous les biens vacants et sans maître, ceux des personnes qui décèdent sans représentants, ou dont les successions sont abandonnées, appartiennent au domaine public.

584.     Les biens qui n'ont pas de maître sont considérés comme appartenant au souverain. 

 

[22]           Bien que le Code civil ne définisse pas le bien sans maître, notre législateur s'est clairement inspiré du Code français pour importer ce concept.  L'article 539 du Code civil français est presque identique à la disposition québécoise :

539.     Tous les biens vacants et sans maître, et ceux des personnes qui décèdent sans héritiers, ou dont les successions sont abandonnées, appartiennent au domaine public.

 

[23]           Le bien sans maître est défini par la législation et la jurisprudence françaises comme suit :

Pour qu'un bien entre dans la deuxième catégorie [biens présumés sans maître], il suffit que son propriétaire soit inconnu et que les contributions foncières n'aient pas été acquittées depuis plus de 5 années[3]

 

[24]           Un tel raisonnement doit logiquement s'appliquer à l'interprétation de notre article 401 C.c.B.-C.  En effet, j'ai beaucoup de difficulté à qualifier autrement que de «bien vacant et sans maître» un terrain inutilisé et inutilisable, sans aucune valeur et, de toute évidence abandonné pendant plus de 130 ans par ses derniers propriétaires connus. 

[25]           Au Québec, l'article 24 de la Loi sur le curateur public[4] établit :

24.       Le curateur public assume l'administration provisoire des biens suivants :

[...]

8°         les biens sans maître et ceux qui deviennent la propriété de l'État par déshérence ou confiscation définitive, sauf les biens visés à la section III.2 de la Loi sur le ministère de la Justice (chapitre M-19)

 

[26]           De plus, le Règlement sur le délai de remise des biens appartenant à l'État[5] prescrit que le transfert effectif de tels biens doit s'effectuer au plus tard le 31 mars suivant l'année de la saisine.

[27]           En précisant que «[le Code civil du Bas-Canada] s'appliquait [...] le 7 mai 1869, au moment du décès de David Douglas Young», le juge de première instance a erronément situé le litige dans le temps.  C'est à la lumière des faits au moment de l'éboulis et des dommages que le bien doit être qualifié et non lors du décès du dernier propriétaire connu. 

[28]           Avec égards, le jugement de première instance crée une situation pour le moins particulière, déclarant que personne ne peut être tenu responsable de cet immeuble pourtant bien réel.  Or, comme le précise le professeur Lafond, «toute partie du territoire (québécois) qui n'est pas la propriété de personnes physiques ou morales ou qui n'entre pas dans un patrimoine fiduciaire appartient à l'État»[6]

[29]           À la prétention des intimés portant que le droit de propriété est de nature perpétuelle et que l'héritier inconnu ou introuvable pourrait toujours réclamer le bien, rappelons que plus de 130 ans se sont écoulés depuis la mort du dernier propriétaire connu.  La recherche du propriétaire actuel ne constitue pas une solution réaliste d'autant plus que les héritiers de Young peuvent être présumés avoir collectivement renoncé à cette partie sans valeur de la succession.  Il ne faudrait pas non plus négliger le délai établi par la Loi sur la curatelle publique[7] pour l'acquisition de propriété par l'État :

            24.       Le curateur public assume l'administration provisoire des biens suivants :

            [...]

            3°         Les biens situés au Québec, dont les propriétaires, les ayants cause ou les héritiers ou successibles sont inconnus ou introuvables ou auxquels ceux-ci ont renoncé;

            [...]

            Les biens visés aux paragraphes 1° à 6° deviennent la propriété de l'État 10 ans après le début de l'administration provisoire du curateur public, 10 ans après l'ouverture d'une succession ou dès que les propriétaires y renoncent, selon le cas.        

           

[30]           Le lot no 2323 a, de toute évidence, été abandonné par tous ses ayant droits depuis 1866.  Ceux-ci ont renoncé , au moins tacitement, à leurs droits sur ce terrain. Il constitue un bien vacant et sans maître, au sens de l'article 401 C.c.B.-C.  Ce bien appartient au domaine public et le Curateur public en a ipso facto la saisine.    

 

ARGUMENT SUBSIDIAIRE D'IRRECEVABILITÉ DES CONCLUSIONS

[31]           Le dernier argument des intimés, dans l'hypothèse où notre Cour en viendrait à la conclusion, comme je le propose, que le lot en litige constitue un bien vacant et sans maître, est à la fois plus technique et très procédural.

[32]           L'action initiale de l'appelante contenait, à la fois, une conclusion déclaratoire et une conclusion recherchant une condamnation monétaire contre le Curateur public.  Ces conclusions se lisent :

DÉCLARER que le Curateur public a juridiction sur le lot 2323 de la Cité de Québec -- quartier Champlain -- et qu'à ce titre, il doit rembourser les sommes qu'a dû débourser la Ville de Québec pour ce lot;

CONDAMNER la défendeur à payer à la demanderesse la somme de 17 072,01 $ avec intérêts au taux légal plus l'indemnité prévue au Code civil;

[33]           Le plaidoyer conjoint des intimés, au paragraphe 11, énonce :

À titre subsidiaire, si le défendeur et le mis-en-cause étaient responsables du paiement des travaux exécutés par la demanderesse, ce n'est que dans la mesure de leur enrichissement, or le lot 2323 n'a aucune valeur.

[34]           La position du Curateur public, fondée sur les articles 12 , 13 , 27 , 29 et 35 de la Loi sur la curatelle publique est fort simple: qu'elle découle de l'article 12 ou de l'article 13, sa gestion du bien sans maître a un caractère strictement provisoire.  La saisine qui lui est conférée sous l'autorité de l'article 13, ne dure que jusqu'à ce que l'État soit envoyé en possession (article 35d) de la loi.  Cette saisine ne lui confère aucun droit de propriété sur le lot, lequel, tant qu'il demeure sous son administration, ne doit pas être confondu avec les biens du domaine public et encore moins avec son patrimoine propre.  Enfin, s'il a le pouvoir d'emprunter pour maintenir le terrain en bon état d'entretien et de réparation, c'est dans la mesure où il peut l'offrir en garantie, (article 29) ce qui, en l'espèce, est impossible vu l'absence totale de valeur marchande du terrain.  Dans les circonstances, il ne saurait être condamné à payer à l'appelante le coût des réparations et de la réfection du terrain encouru par cette dernière.

[35]           Je suis d'accord avec le Curateur public sur ce point. 

[36]           De plus, le même avocat qui représente également le Procureur général du Québec, mis en cause,  ajoute et précise que l'action ne contient aucune conclusion contre ce dernier.  Par conséquent, même si la Cour conclut qu'il s'agit d'un bien vacant et que le jugement doit être assimilé à un envoi judiciaire de l'État en possession du bien, il nous est impossible de condamner celui-ci au remboursement de la somme réclamée.  À mon avis, ceci est également rigoureusement exact.

[37]           Le moyen de droit plaidé par les intimés n'est pas nouveau et avait effectivement fait l'objet d'une requête en irrecevabilité avant l'audition au fond.  Cette requête en irrecevabilité, fondée sur ce même motif, avait été rejetée par la Cour supérieure avec la réserve suivante:

C'est précisément parce qu'il était administrateur de ce bien d'autrui que la poursuite est dirigée contre lui.  Au niveau de l'adjudication, c'est la situation juridique qu'il faut considérer.  Au niveau de l'exécution, ce peut-être une autre histoire

[38]           C'est de cette autre histoire qu'il s'agit maintenant.

[39]           Je suis d'avis que le Curateur public ne peut être condamné, en l'espèce, qu'en sa qualité de curateur.  En cette qualité, l'exécution ne peut avoir lieu que sur le bien administré et non sur le patrimoine général de l'intimé.

[40]           Pour cette raison, les intimés demandent le rejet pur et simple de l'action.  Ce serait là une solution trop facile.

[41]           En effet, on ne saurait faire fi de la conclusion déclaratoire recherchée.  En d'autres mots, même si la conclusion monétaire ne peut être accordée, il n'en demeure pas moins que nous sommes également en présence d'une action pour jugement déclaratoire et que la Cour n'est pas liée par la formulation de la conclusion déclaratoire recherchée.

[42]           Cette conclusion peut être nuancée et modifiée par la Cour, en autant qu'elle n'en change pas le sens et qu'elle ne s'éloigne pas de la question en litige;  elle peut même être complétée pour apporter une solution complète au débat judiciaire.

[43]           Pour ces raisons, je suis d'avis qu'il y a lieu d'accueillir le pourvoi, d'infirmer le jugement entrepris et d'accueillir pour partie l'action de l'appelante aux fins de:

DÉCLARER que le lot 2323 de la Cité de Québec -- quartier Champlain -- constitue un bien vacant et sans maître, assujetti à la saisine du Curateur public, en vertu de l'article 13 de la Loi sur la Curatelle publique;

DÉCLARER que, par l'effet du présent jugement, l'État, soit l'intimé en sa qualité de représentant judiciaire de la Province de Québec, est envoyé en possession du lot 2323 de la Cité de Québec -- quartier Champlain;

DÉCLARER que l'intimé, Procureur général du Québec, en cette qualité, est responsable envers la Ville de Québec des coûts d'entretien, réparation et réfection de ce lot.


[44]           Quant aux dépens, vu la conclusion qui précède et la nécessité dans laquelle tant l'appelante que le Procureur général du Canada ont été placés de recourir à des expertises par suite de la position juridique initiale adoptée par les intimés, il paraît aller de soi que les frais de ces expertises font partie des dépens que doivent assumer les intimés.

 

 

 

 

 

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ANDRÉ BROSSARD J.C.A.

 

 

 

 



[1] p. 26 du jugement de première instance

[2] L.R.Q., c. C-80, en vigueur lors du procès en première instance, (cette loi est aujourd'hui la Loi sur le curateur public, c. C-81)

[3] Cour de cassation, Civ. 1re, 6 avr. 1994 : Recueil Dalloz 1994 IR 118

[4] L.R.Q., c. C-80

[5] R.R.Q., c. C-81, r.2, art. 1er

[6] LAFOND, Pierre-Claude, Précis du droit des biens, Montréal, Éditions Thémis, 1999, p. 998

[7] précité, note 2, en vigueur depuis 1990

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