Cusson c

Cusson c. Canada (Ministre de la Justice)

2009 QCCA 1849

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-004251-086

 

DATE :

2 OCTOBRE 2009

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARC BEAUREGARD, J.C.A.

PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A.

LISE CÔTÉ, J.C.A.

 

 

MARC-ANDRÉ CUSSON

DEMANDEUR - Intéressé

c.

 

MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA

INTIMÉ - Décideur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; — Statuant sur une demande de révision d'un arrêté d'extradition pris le 19 décembre 2007 par l'intimé contre le demandeur en application de la Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18;

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs des juges Beauregard et Côté, motifs auxquels souscrit le juge Gendreau, ACCUEILLE en partie la demande et ANNULE la partie de l'arrêté qui concerne le complot « to export monetary instruments in excess of $10,000.00 without filing a declaration, in violation of Title 18, United States Code, section 371 and Title 31, United States Code, section 5316 »;

[4]                D'autre part, pour les motifs de la juge Côté, auxquels souscrit le juge Gendreau, la demande concernant le reste de l'arrêté est rejetée;

[5]                Pour sa part, le juge Beauregard aurait accueilli la demande concernant le reste de l'arrêté.

 

 

 

 

 

MARC BEAUREGARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A.

 

 

 

 

 

LISE CÔTÉ, J.C.A.

 

Me Katia Leontieff

(DESROSIERS, JONCAS, MASSICOTTE)

Pour le demandeur

 

Me Mona Brière

(SERVICE DES POURSUITES PÉNALES DU CANADA)

Pour l'intimé

 

Date d’audience :

Le 13 mai 2009


 

 

MOTIFS DE LA JUGE CÔTÉ

 

 

[6]                Contrairement à mon collègue, le juge Beauregard, je suis d'avis de rejeter en partie le pourvoi de l'appelant et de ne pas infirmer la décision du ministre ordonnant son extradition vers les États-Unis.

[7]                Je me réfère aux faits et aux procédures relatés par mon collègue. J'estime toutefois nécessaire de rappeler certains aspects de la preuve.

[8]                En 2002, l'appelant était à la tête d'une organisation qui exportait de la marihuana des Cantons de l'Est vers les États-Unis. Cette organisation se livrait à cette activité depuis 2000. L'enquête policière menée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en collaboration avec la Sûreté du Québec (SQ) et des agents de la Drug Enforcement Administration (DEA) a conduit à l'arrestation au Québec de plusieurs individus dont l'appelant.

[9]                Le 12 juin 2003, les États-Unis demandaient l'extradition de l'appelant pour les infractions suivantes :

   Conspiracy to distribute marijuana, in violation of Title 21, United States Code, sections 841(a)(1), 841(b)(1), and 846 (Count 1);

   Possession of 100 kilograms or more of marijuana, in violation of Title 21, United States Code, sections 841(a)(1), 841(b)(1)(B), and Title 18, United States Code, section 2 (Count 2);

   Distribution of 100 kilograms or more of marijuana, in violation of Title 21, United States Code, sections 841(a)(1), 841(b)(1)(B), and Title 18, United States Code, section 2 (Counts 3-4);

   Use of a communication facility to commit a drug trafficking offence, in violation of Title 21, United States Code, sections 843(b) and 846 (Count 5);

   Conspiracy to launder money, in violation of Title 18, United States Code, section 1956(a)(1)(A)(i) (Count 6);

   Attempted money laundering, in violation of Title 18, United States Code, section 1956(a)(1)(B)(i) (Count 7);

   Attempted money laundering, in violation of Title 18, United States Code, section 1956(a)(1)(A)(1) and 2 (Counts 8-11); and

   Conspiracy to export monetary instruments in excess of $10,000 without filing a declaration, in violation of Title 18, United States Code, section 371, and Title 31, United States Code, section 5316 (Count 12).

 

[10]           À la suite du plaidoyer de culpabilité de l'appelant devant la Cour du Québec à plusieurs infractions relatives au complot pour la production de cannabis, la possession de cette drogue en vue d'en faire le trafic, de même que la possession de biens provenant de ces activités, il a été condamné en juin 2005 à une peine globale de 10 ans d'emprisonnement, laquelle a été réduite à 4 ans d'emprisonnement - 2 ans pour un chef (al. 467.12(1) C.cr.)  et 2 ans consécutifs pour un autre (al. 467.13(1) C.cr.) - pour tenir compte de la détention provisoire équivalant à 6 ans.

[11]           Le sommaire factuel déposé par la poursuite devant le juge de la Cour du Québec, avec lequel l'avocat agissant alors pour l'appelant était d'accord, résume ainsi la preuve :

a)   L'enquête a également permis de déterminer que l'organisation de Marc-André Cusson produisait une partie de la marihuana dans des serres qu'elle contrôlait et qu'elle en achetait également de fournisseurs externes.

[…]

Recyclage des produits de la criminalité

a)   Les revenus provenant de la vente des stupéfiants étaient rapportés à l'organisation, en devises américaines, pour ensuite être changés en devises canadiennes.

b)   Des camionneurs ayant transporté des stupéfiants ont à l'occasion rapporté des sommes, mais l'organisation avait des membres qui étaient spécifiquement chargés de cette tâche. Yvan Dutilly et plus tard, Jean-Paul Larche ont accompli ce rôle. La conversion en devises canadiennes se faisait quant à elle par Richard Beauregard qui apportait l'argent dans un bureau de change à Montréal. Le paiement des camionneurs s'effectuait après la conversion et donc en devises canadiennes.

[12]           À la suite de ces condamnations devant la Cour du Québec, l'arrêté introductif d'instance a été remplacé pour enlever l'ensemble des infractions reliées au complot et à la possession des drogues pour toutefois laisser celles relatives au recyclage des produits de la criminalité (tentative) visant quatre incidents où l'appelant avait envoyé des individus aux États-Unis pour récupérer les revenus provenant de la vente de la marihuana.

[13]           Le détail de ces incidents est reproduit au Record of the Case (REC). Essentiellement, l'appelant demandait à des individus de se présenter aux États-Unis pour recueillir les sommes d'argent qui lui étaient dues. Prétextant un voyage d'affaires ou de loisirs, ces individus recevaient l'argent à différents endroits, principalement en procédant à un échange de sacs dans des endroits publics tels que des stations d'essence, dépanneurs ou autres commerces. Au cours de l'écoute électronique et de la surveillance physique dont l'appelant faisait l'objet, les policiers de la DEA ont pu observer les échanges en question et aviser leurs collègues de la GRC. Les quatre infractions reproduites à l'arrêté introductif d'instance visent les incidents suivants :

   Le 30 mai 2002, l'écoute électronique révèle que l'appelant a mandaté Jean-Paul Larche pour aller chercher aux États-Unis les sommes lui étant dues. La surveillance policière de Larche a commencé au New Hampshire en soirée pour se poursuivre le lendemain où les policiers de la DEA l'ont vu en compagnie de personnes faisant déjà l'objet d'une enquête aux États-Unis en matière de trafic de drogues. Larche a ensuite quitté pour se diriger vers le nord en prenant les autoroutes 93 et 89, en se livrant pendant le trajet à des manœuvres pour déceler la surveillance physique. C'est au cours de ces manœuvres qu'il s'est arrêté à un site de maisons manufacturées pour y laisser la somme de 110 000 $ en devises américaines, en espèces, au représentant des ventes. Il est clair qu'il se sentait surveillé et qu'il voulait se départir de cet argent. Dès après, les agents de la DEA ont saisi l'argent.

   Le 8 mai 2002, l'écoute électronique effectuée sur la ligne du cellulaire de l'appelant révèle qu'il se prépare à envoyer un individu aux États-Unis pour récupérer une partie du solde de 600 000 $ en devises américaines qui demeure dû. La surveillance physique établit qu'un individu, Daryl Hurley, est choisi pour effectuer ce travail. Quittant le Québec en soirée, ce dernier se rend au Massachusetts. Le lendemain, il rencontre dans le stationnement d'un dépanneur un individu. Un sac est transféré dans le véhicule d'Hurley, lequel se dirige ensuite vers le nord via l'autoroute 91. Pour éviter de nuire à l'enquête policière, la GRC et la DEA ont convenu de ne pas intercepter le véhicule, mais ont plutôt décidé de simuler une inspection routière à la frontière canadienne. C'est dans le cadre de cette inspection que le sac fut retrouvé, lequel contenait la somme de 399 670 $ en devises américaines.

[14]           C'est essentiellement le même scénario qui s'est reproduit pour les chefs trois et quatre, sauf que les dates, les courriers et les sommes diffèrent. Le troisième chef vise une somme d'argent de 119 080 $, saisie à la frontière le 2 février 2002 et le quatrième chef, une somme de 189 000 $  saisie par les policiers du Vermont, à la demande de la DEA, le 3 juin 2002, ces sommes étant en devises américaines.

[15]           Selon l'appelant, il s'agit d'une double incrimination si l'on tient compte des infractions pour lesquelles il a plaidé coupable au Québec. Il plaide également que la preuve ne révèle pas la commission des infractions pour lesquelles on requiert son extradition.

[16]           Selon mon collègue Beauregard, le transport de l'argent ne saurait suffire à conclure à la commission de l'infraction de tentative de blanchiment d'argent qui est reprochée par l'État requérant.  À son avis, la tentative nécessite de poser un acte pour convertir l'argent; le simple fait d'aller récupérer l'argent ne peut équivaloir au crime reproché.

[17]           Avec égards, je suis d'avis que la commission du crime reproché, tel que conçu et exécuté, nécessite plusieurs opérations, allant du transport de sommes d'argent à la livraison de celles-ci lorsqu'il s'agit de produits de la criminalité. Cela signifie que, dès qu'il met en œuvre les premières démarches essentielles à l'exécution de l'infraction, l'appelant est engagé dans la commission du crime. S'il échoue une étape ultérieure, il aura fait une tentative. De fait, le recyclage des produits de la criminalité consiste à  posséder ceux-ci et à se livrer à une des activités prohibées à la disposition, en ayant l'intention requise.

[18]           Ici, ces sommes d'argent proviennent de la commission d'une infraction et l'opération de récupérer ces sommes, de les transporter, correspond à une des activités prohibées par l'article 462.31. La connaissance que cet argent provient de la commission du crime de trafic de  drogues est clairement établie et l'intention prohibée peut se déduire du mode de fonctionnement de l'organisation décrit au REC. Le transport de ces sommes d'argent en territoire américain constitue une infraction commise aux États-Unis pour lesquelles les autorités américaines ont compétence. Bien que l'appelant ait eu l'intention de rapatrier ces sommes au Québec, il s'agit d'un crime qui s'est produit aux États-Unis et pour lequel il n'a pas enregistré de plaidoyer de culpabilité au Québec.

[19]           Il est clair que le transport des sommes en question s'est effectué à la demande de l'appelant, par le biais d'un complice et que leur récupération en territoire américain constitue un « transport » d'un bien au sens de l'article 462.31 C.cr. : R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217 .

[20]           C'est donc à bon droit que le juge d'extradition a ordonné l'incarcération de l'appelant, son rôle se limitant à déterminer si la preuve établissait prima facie que les actes reprochés par l'État requérant constituaient une conduite prohibée au Canada. J'estime donc qu'il n'y a pas lieu d'annuler l'ordonnance d'incarcération.

[21]           Contre la décision du ministre, l'appelant invoque essentiellement le principe de la double pénalité et l'absence de compétence des tribunaux américains pour le juger sur ces infractions.

[22]           Ses moyens d'appel nous renvoient essentiellement à l'analyse de sa conduite  en regard des infractions pour lesquelles l'extradition est demandée et celles pour lesquelles il a enregistré un plaidoyer de culpabilité au Québec. Le ministre a analysé le dossier et conclu que :

[…] En l'espèce, les autorités poursuivantes au Canada ont limité les accusations à l'endroit de M. Cusson aux infractions canadiennes sans aucun aspect transfrontalier.

Actuellement aux États-Unis, des accusations de tentative de blanchiment d'argent pèsent contre M. Cusson. Ce dernier n'est visé, au Canada, par aucune accusation relative à la conduite dont il est question dans la demande d'extradition. En décidant d'extrader M. Cusson aux États-Unis, je suis d'avis qu'une poursuite au Canada ne serait pas plus réaliste et efficace qu'aux États-Unis d'Amérique.

Les États-Unis d'Amérique sont fondés à tenter, au moyen de poursuite pénale, de protéger leur population et de maintenir la confiance publique à l'égard de ses lois et de son système de justice pénale. Même si une forme de poursuite était possible au Canada, dans les circonstances, j'ai déterminé qu'il est approprié de favoriser les intérêts supérieurs des États-Unis d'Amérique de poursuivre cette affaire.

Étant donné les facteurs ci-dessus, je suis d'avis que l'extradition de M. Cusson aux États-Unis d'Amérique ne constitue pas une atteinte injustifiée à ses droits garantis au paragraphe 6(1) de la Charte.

[23]           Il a de plus analysé les observations de l'appelant en regard de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) et de l'article 44 (1) a) de la Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18 (Loi), qui lui permet de refuser l'extradition si celle-ci est « injuste ou tyrannique  » compte tenu des circonstances.

[24]           Dans un arrêt récent Lake c. Canada (Ministre de la Justice), [2008] 1 R.C.S. 761 , la Cour suprême a rappelé les principes et la norme d'intervention d'une cour d'appel siégeant en révision d'une décision du ministre en matière d'extradition. Dans cette affaire, le ministre avait conclu, comme en l'espèce, que même si les accusations portées au Canada et aux États-Unis se rapportaient à une même enquête et que les actes reprochés étaient intimement reliés, les accusations visaient des infractions différentes.

[25]           Le juge LeBel, qui rend jugement pour la Cour, énonce ainsi la norme d'intervention :

[34]      Notre Cour a confirmé à maintes reprises que la déférence s’imposait à l’endroit de la décision du ministre de prendre ou non un arrêté d’extradition une fois le fugitif incarcéré. Elle doit aujourd’hui déterminer quelle norme de contrôle judiciaire s’applique à l’appréciation ministérielle des droits constitutionnels du fugitif. Cette norme demeure celle de la raisonnabilité, même lorsque le fugitif fait valoir que l’extradition porterait atteinte à ses droits constitutionnels. Il ressort de la jurisprudence de notre Cour que pour assurer le respect de la Charte dans le contexte d’une demande d’extradition, le ministre doit tenir compte de considérations opposées et possède à l’égard de bon nombre de celles-ci une plus grande expertise. L’affirmation selon laquelle les tribunaux n’interviendront que dans les cas exceptionnels où cela « s’impose réellement » traduit bien la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre. La décision ne doit en effet être modifiée que si elle est déraisonnable (Schmidt) (voir l’analyse de la norme de la décision correcte et de la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 , 2008 CSC 9 ).

[…]

[37]      Deuxièmement, la supériorité de l’expertise du ministre à l’égard des obligations internationales et des affaires étrangères du Canada doit également être prise en compte lors du contrôle judiciaire de sa décision sur l’allégation d’un individu selon laquelle l’extradition porterait atteinte à ses droits constitutionnels. Le ministre doit certes exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec la Charte, mais son appréciation de toute atteinte aux droits constitutionnels qu’entraîne un arrêté d’extradition reste étroitement liée à son obligation de veiller au respect par le Canada de ses obligations internationales.[…]

[26]           Appliquant ces principes en l'espèce, l'on ne saurait reprocher au ministre de ne pas avoir analysé les questions soumises par l'appelant pas plus que de ne pas avoir exercé correctement sa discrétion.

[27]           Sa décision que les infractions canadiennes étaient différentes de celles présentées au soutien de la demande d'extradition est raisonnable et se justifie. Bien que les infractions soient intimement reliées au trafic de drogues, il s'agit de crimes distincts.

[28]           Par ailleurs, la proposition de l'appelant que le morcellement des accusations équivaut à un fractionnement « artificiel » qui s'apparente à de l'acharnement à son égard ne saurait être retenue. Il faut tenir compte que l'enquête s'est principalement déroulée aux États-Unis, par la surveillance physique des courriers en territoire américain. Ce sont les autorités américaines qui sont en possession des éléments de preuve relatifs à ces infractions.

[29]           Dans ces circonstances, la conclusion du ministre d'ordonner l'extradition est raisonnable, et ce, pour les crimes de tentative de blanchiment d'argent.

[30]           Par ailleurs, quant au chef additionnel de complot en vue d'exporter des sommes d'argent d'une valeur de plus de 10 000 $, sans avoir dûment rempli une déclaration selon les exigences prévues dans la loi américaine, je partage l'avis de mon collègue que le ministre ne pouvait ajouter une autre infraction pour laquelle l'appelant n'avait pas bénéficié d'une audience devant le juge d'extradition.

[31]           Si l'on accepte que l'action du ministre d'ordonner l'extradition suivant l'ordonnance d'incarcération du juge est de nature politique et qu'il jouit d'un pouvoir discrétionnaire, il a par ailleurs l'obligation d'agir équitablement : Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631 . En modifiant l'arrêté introductif d'instance, le 7 mai 2007, pour remplacer celui délivré le 19 septembre 2005, pour ne mentionner que les infractions de tentative de recyclage des produits de la criminalité (4 chefs), l'appelant savait qu'il pouvait être extradé pour ces crimes, et non pour d'autres. Cette approche est conforme à la règle de la spécificité qui veut que la personne extradée ne soit accusée dans l'État requérant que pour les crimes pour lesquels elle a été extradée, le processus d'extradition lui accordant ainsi une certaine protection : États-Unis d'Amérique c. Lépine, [1994] 1 R.C.S. 286 , 297. La Loi prévoit d'ailleurs que le ministre peut exiger des assurances à cet égard (paragr. 40 (3)).

[32]           Dans ces circonstances, je suis d'avis que la décision du ministre d'ajouter une infraction supplémentaire doit être annulée, d'où ma proposition que le pourvoi à l'encontre de la décision du ministre soit accueilli à la seule fin d'annuler l'arrêté d'extradition en regard de l'infraction relative au complot « to export monetary instruments in excess of $10,000 without filing a declaration, in violation of Title 18, United States Code, section 371, and Title 31 United States Code, section 5316 ».

 

 

 

 

LISE CÔTÉ, J.C.A.



 

 

MOTIFS DU JUGE BEAUREGARD

 

 

[33]           Les présents motifs valent tant pour le pourvoi de l'appelant contre l'ordonnance d'incarcération rendue le 9 octobre 2007 par le juge André Vincent de la Cour supérieure, que pour la demande de révision de l'arrêté d'extradition pris par le ministre de la Justice du Canada le 19 décembre 2007.

- 0 -

[34]           Poursuivi au Québec, l'appelant a, le 3 septembre 2004, admis sa culpabilité pour les actes criminels suivants : 

1)                 Entre le 1er mai 2001 et le 3 juillet 2002, au Québec, a conspiré avec une vingtaine de personnes dans les buts suivants : la production de marihuana, la possession de marihuana en vue d'en faire le trafic, le trafic de marihuana et la possession de biens provenant du trafic de marihuana (article 465 du Code criminel, lu avec les articles 5 et 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et les articles 354 et 355 du Code criminel);

2)                 Entre le 7 janvier 2002 et le 3 juillet 2002, au Québec, a commis des actes criminels en association avec une organisation criminelle (al. 467.12(1) du Code criminel, lu avec les articles 5 et 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et les articles 354, 355 et 465 du Code criminel);

3)                 Entre le 7 janvier 2002 et le 3 juillet 2002, au Québec, a illégalement chargé plusieurs personnes de commettre les actes criminels suivants : la production de marihuana, la possession de marihuana en vue d'en faire le trafic, le trafic de marihuana et la possession de biens provenant du trafic de marihuana, en association avec une organisation criminelle (al. 467.13 (1) du Code criminel, lu avec les articles 5 et 7 de Loi réglementant certaines drogues et autres substances et les articles 354 et 355 du Code criminel).

[35]           De plus, l'appelant a admis sa culpabilité pour avoir eu en sa possession des biens provenant du trafic de marihuana (neuf chefs supplémentaires).

[36]           Le 10 juin 2005, après voir tenu compte du fait que l'appelant avait été incarcéré d'une façon provisoire durant trois ans, un juge de la Cour du Québec a condamné l'appelant aux peines suivantes relativement aux trois premiers chefs : 

1)                 Chef 1 : un jour d'emprisonnement;

2)                 Chef 2 : deux ans d'emprisonnement, peine à être purgée d'une façon concurrente avec la première;

3)                 Chef 3 : deux ans d'emprisonnement, peine à être purgée de façon consécutive aux deux premières; en application des sous-al. 743.6(1.1) et (1.2) du Code criminel, le juge ordonna que l'appelant n'allait pas être admissible à une libération conditionnelle avant deux ans.

[37]           Par ailleurs, pour les neuf autres chefs, le juge a infligé des peines concurrentes d'une journée d'emprisonnement tout en rendant neuf ordonnances de confiscation en application de l'al. 462.37 du Code criminel. Il semble que la valeur totale des biens confisqués fut de l'ordre de 1 000 000 $.

[38]           Parallèlement aux procédures commencées au Québec en 2002, les autorités américaines, en juin 2003, ont prié le ministre de la Justice du Canada d'extrader l'appelant afin qu'il subisse aux U.S.A. un procès sur plusieurs accusations relatives à la marihuana et au blanchiment d'argent obtenu par le trafic de marihuana.

[39]           En septembre 2005, le ministre a pris un arrêté introductif d'instance contre l'appelant, arrêté qui alléguait huit infractions canadiennes correspondant aux infractions américaines.

[40]           Mais, le 7 mai 2007, le premier arrêté fut modifié par un second, lequel portait dorénavant seulement sur les actes criminels suivants qui correspondaient aux actes criminels commis aux U.S.A. : 

-          attempted laundering of the proceeds of crime obtained or derived directly or indirectly from the commission of the designated offence of trafficking in a controlled substance contrary to sections 462.31 and 463 of the Criminal Code (31/05/02);

-          attempted laundering of the proceeds of crime obtained or derived directly or indirectly from the commission of the designated offence of trafficking in a controlled substance contrary to sections 462.31 and 463 of the Criminal Code (between 08/05/02 and 09/05/02);

-          attempted laundering of the proceeds of crime obtained or derived directly or indirectly form the commission of the designated offence of trafficking in a controlled substance contrary to sections 462.31 and 463 of the Criminal Code (01/02/02);

-          attempted laundering of the proceeds of crime obtained or derived directly or indirectly form the commission of the designated offence of trafficking in a controlled substance contrary to sections 462.31 and 463 of the Criminal Code (03/06/02).

[41]           Le 9 octobre 2007, le juge André Vincent de la Cour supérieure a ordonné l'incarcération de l'appelant en rapport avec les infractions alléguées dans l'arrêté introductif d'instance modifié du 7 mai 2007.

[42]           C'est de cette ordonnance dont nous sommes saisis par le pourvoi.

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[43]           Le juge Vincent a fait la constatation suivante : 

[l]a preuve révèle que, lors des quatre évènements mentionnés, monsieur Cusson dépêchait des courriers aux États-Unis d'Amérique afin de récupérer des sommes d'argent qui lui étaient dues de la vente de marihuana. Dans tous les cas, c'est lors du transport vers le Canada que les courriers ont été arrêtés et l'argent saisi. Il s'agit d'un cas clair de l'application de l'article 462.31.

[44]           Ce n'est pas tout à fait exact quant à l'acte criminel du 31 mai 2002 qui est allégué dans le premier chef de l'arrêté introductif d'instance du 7 mai 2007. À cette occasion, un monsieur Larche a non seulement transporté une somme de 110 000 $, mais il a déposé cette somme comme acompte sur le prix d'une maison qui allait être achetée aux U.S.A. Larche a donc effectivement tenté de convertir la somme de 110 000 $.

[45]           Mais, quant aux trois autres chefs, il est exact que, lorsque les sommes furent saisies aux U.S.A., elles étaient simplement transportées par différentes personnes qui tentaient de les apporter au Québec.

[46]           L'appelant a cité au juge Vincent l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217 , pour tenter de le convaincre que transporter de l'argent des U.S.A. vers le Canada ne correspondait pas à un acte criminel au Canada.

[47]           Le juge Vincent a lu l'arrêt Daoust différemment puisqu'il a affirmé qu'il était d'avis que l'arrêt « confirme l'application de l'article 462.31 à monsieur Cusson ».

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[48]           Concernant les trois derniers chefs mentionnés plus haut, je suis d'avis que, aux yeux du droit canadien, lorsqu'ils transportaient de l'argent, les comparses de l'appelant ne faisaient pas encore du blanchiment d'argent et ne tentaient pas encore de le faire.

[49]           La vente de marihuana présuppose qu'un prix est payé par l'acheteur au vendeur, et le fait que d'une façon inhérente à cette vente le vendeur reçoive de l'argent et l'apporte chez lui ne doit pas être considéré comme un acte criminel supplémentaire au trafic.

[50]           Pour qu'il y ait eu tentatives de blanchiment, il aurait fallu que non seulement les comparses de l'appelant transportent l'argent, mais que, ce faisant, ils tentent de le convertir, ou d'une façon spéciale et particulière, de le cacher.

[51]           Les actes criminels commis aux U.S.A. et qui sont décrits dans les trois derniers chefs allégués dans l'arrêté introductif d'instance modifié du 7 mai 2007 correspondent, aux yeux du droit canadien, à une possession illégale d'un bien, mais non au blanchiment d'argent.

[52]           À l'audience, l'avocate de l'intimé nous a proposé qu'il était acquis que l'argent qui était transporté, lorsqu'il fut saisi, était destiné à être converti au Canada et, qu'en conséquence, en le transportant, les comparses de l'appelant tentaient de le convertir.

[53]           Avec égards pour l'opinion contraire, je suis d'avis que, même si l'on peut tenir pour acquis qu'une fois arrivé au Canada l'argent aurait été caché ou converti, les transports au cours desquels l'argent fut saisi ont constitué des actions trop éloignées pour constituer des actes dépassant le stade d'actions simplement préparatoires aux infractions.

[54]           Au cas contraire, le voleur qui rentre chez lui avec le butin serait, de ce seul fait, coupable de blanchiment.

[55]           Le fait que les personnes qui ont transporté l'argent aux U.S.A. et qui ont été arrêtées au cours du transport savaient ou devaient savoir qu'une fois arrivé au Canada l'argent serait converti par l'appelant ou d'autres personnes ne fait pas que ces personnes tentaient de commettre une infraction qui allait probablement être commise par une ou d'autres personnes d'une façon quelconque.

[56]           L'argument de l'avocate de l'intimé suppose que les autorités américaines auraient compétence pour accuser l'appelant d'avoir tenté aux U.S.A. d'avoir blanchi de l'argent au Canada. Il me semble que le tribunal compétent en matière de tentative est celui de l'endroit où l'acte qu'on a tenté de commettre aurait été commis si la tentative avait réussi.

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[57]           Mais la situation est différente quant à l'événement du 31 mai 2002 au cours duquel Jean-Paul Larche a tenté de convertir une somme de 110 000 $ en faisant un dépôt pour l'achat d'une maison aux U.S.A. Il y a eu ici véritablement tentative de convertir la somme.

[58]           Si l'appelant avait conspiré avec Larche pour que celui-ci tente de convertir la somme de 110 000 $ en faisant un dépôt pour l'achat d'une maison ou si l'appelant était le complice de Larche à cette fin, l'argument de l'appelant selon lequel les autorités judiciaires américaines ne seraient pas compétentes pour le juger serait mal fondé même si l'appelant n'a jamais mis les pieds aux U.S.A. Mais, j'ai beau lire et relire le résumé du dossier des autorités américaines, je n'arrive pas à voir que Larche a tenté de convertir la somme de 110 000 $ par suite d'un complot avec l'appelant ou avec l'aide ou l'encouragement de celui-ci. Il me semble que ce fut là une décision prise par Larche seulement. En effet, le dossier indique que, au soir du 31 mai 2002, l'appelant attendait impatiemment que Larche lui apporte la somme de 110 000 $ et qu'il n'était pas du tout au courant que celui-ci avait tenté de convertir la somme en faisant un dépôt pour l'achat d'une maison aux U.S.A.

[59]           Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler l'ordonnance d'incarcération.

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[60]           Après l'ordonnance d'incarcération du juge de la Cour supérieure, le ministre a ordonné l'extradition de l'appelant, non seulement pour que celui-ci soit jugé pour les quatre infractions mentionnées dans le jugement du juge de la Cour supérieure, mais aussi pour avoir conspiré « to export monetary instruments in excess of $10,000.00 without filing a declaration, in violation of Title 18, United States Code, section 371 and Title 31, United States Code, section 5316 ».

[61]           Je suis d'avis que le ministre ne pouvait pas ajouter ce chef d'accusation qui n'était pas mentionné dans l'arrêté introductif d'instance ni dans le jugement du juge de la Cour supérieure. L'avocate du ministre concède que la décision d'ajouter ce chef ne fut pas faite en application de l'article 59 de la Loi sur l'extradition[1]. Je suis d'avis que, hors le cas de l'article 59, le ministre n'a pas le pouvoir d'extrader une personne pour un acte dont l'existence n'a pas été constatée par un juge de la Cour supérieure. L'avocate de l'intimé nous propose que le ministre ne pouvait pas inclure dans son arrêté introductif d'instance le crime supplémentaire concernant l'exportation de numéraire d'une valeur supérieure à 10 000 $ parce qu'il n'existe pas un acte criminel correspondant au Canada, mais qu'il pouvait inclure cet acte dans son arrêté d'extradition puisque la conduite aux États-Unis équivaut ici à du blanchiment d'argent. Ceci est erroné. La conduite dont il est question ici aux États-Unis n'est pas d'avoir tenté de blanchir de l'argent, mais bien d'avoir exporté du numéraire d'une somme supérieure à 10 000 $ sans respecter les formalités prévues par la loi. Or, une telle infraction n'existe pas au Canada. L'avocate ne peut plaider à la fois qu'il n'existait pas d'infraction canadienne pour les fins de l'arrêté introductif d'instance et qu'il en existait une pour les fins de l'arrêté d'extradition.

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[62]           Pour le cas où j'aurais tort relativement au premier chef de l'ordonnance d'incarcération, je désire étudier la demande de révision de l'appelant (maintenant demandeur) quant à ce premier chef.

[63]           Le demandeur prétend qu'il a été puni au Canada pour tous les aspects de sa conduite criminelle entre mai 2001 et juillet 2003 et qu'en conséquence il ne pourrait être jugé aux États-Unis sans qu'on puisse parler de double incrimination et de double pénalité.

[64]           La proposition est mal fondée en fait : aucun des actes criminels pour lesquels le demandeur a avoué sa culpabilité ne concernait, ni de près ni de loin, l'acte criminel précis par lequel Larche a tenté de convertir 110 000 $ en déposant cette somme comme acompte sur le prix d'une maison qui était achetée aux États-Unis. Le tribunal canadien n'avait d'ailleurs pas compétence pour punir le demandeur pour cet acte criminel.

[65]           Est également mal fondée au regard du premier chef mentionné dans l'ordonnance d'incarcération la proposition de l'appelant selon laquelle l'extradition serait un abus en violation de la Charte canadienne des droits et libertés et serait injuste et tyrannique au sens du sous-al. 44(1)a) de la Loi sur l'extradition.

[66]           Il s'agit en fait d'une variation sur le même thème que celui du moyen précédent. J'ajoute que le demandeur peut se féliciter du fait que les autorités américaines n'ont pas recherché son extradition pour avoir importé de la marihuana. Le fait que le demandeur a avoué sa culpabilité pour des actes criminels commis au Canada ne saurait empêcher les autorités américaines de vouloir sanctionner la conduite de ceux qui tentent de blanchir de l'argent aux U.S.A. et ainsi de vouloir dissuader ceux qui auraient l'envie d'agir comme l'a fait le demandeur.

[67]           La proposition du demandeur selon laquelle l'arrêté d'extradition violerait l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés n'a absolument aucune vertu en rapport avec la tentative de blanchir l'argent aux U.S.A.

[68]           Enfin est mal fondée la proposition du demandeur selon laquelle l'intimé a erré en ordonnant l'extradition sans imposer les conditions souhaitées par le demandeur, soit que : 

Sa détention préventive en attente de son procès américain soit prise en compte aux fins de la détermination de sa peine;

S'il est détenu préventivement, qu'il soit détenu dans un établissement où sa femme et ses deux enfants pourront le visiter sur une base régulière et s'il est condamné à une peine de prison, que l'établissement carcéral permette sa femme et ses deux enfants de le visiter sur une base régulière.

[69]           Quant à la première condition, il faut dire que le ministre a obtenu des autorités américaines l'information que, lorsqu'un défendeur a fait l'objet d'une peine d'incarcération provisoire, il jouit alors d'une réduction de peine.

[70]           Quant à la deuxième condition, le ministre n'a pas agi d'une façon déraisonnable en concluant qu'il serait inapproprié de sa part de s'ingérer dans l'administration des peines par les autorités américaines.

[71]           En conséquence, je propose d'accueillir le pourvoi et de casser l'ordonnance d'incarcération et l'arrêté d'extradition.

 

 

 

 

MARC BEAUREGARD, J.C.A.

 



[1]     L.C. 1999, ch. 18.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.